Montagnes belges - Philippe Cornet – Focus Vif – 26/11/2020
Premier album du quintet Limite, Mountains Inside mixe saignées noisy et tensions mélancoliques.
Explicitées par le contrebassiste-producteur-compositeur Jordi Cassagne.
Quelques dizaines de grammes en polycarbonate et alliage d'argent, avec une laque anti-UV d'acrylique. Dans le cas de cet opus, le plastique accroche d'abord l'oeil par la pochette en élégant carton: un dessin noir et blanc d'un personnage marchant vers une ruine plantée dans un décor montagneux.
"C'est le travail du dessinateur français Edmond Baudoin (Nice, 1942), que je suis depuis tout gamin. J'aime beaucoup ses bandes dessinées, ses romans graphiques. Là, il capte exactement l'esprit du premier album de Limite. Quelque chose d'assez brut qui fasse ressentir de grands espaces. D'un jet avec une inspiration très pure et très honnête." De son hébergement provisoire en Crète, pour cause de fiancée hellénique, Jordi Cassagne s'exprime au téléphone. On entend des bruits sur la ligne, "des scribouillis, un aplat noir de traits", explique-t-il, comme si c'était compliqué pour lui d'être complètement au repos, sans donner un usage aux mains. Et peut-être la nécessité de glaner des signes de toutes sortes.
L'intéressé a 30 ans, vient du sud-ouest de la France, entre Toulouse et Bordeaux, et compte un ancêtre espagnol, "mais pas catalan, ce qui aurait pu expliquer le choix de mon prénom...". Après de sérieuses études musicales à La Haye, un master en contrebasse jazz, il s'installe dans la capitale belge il y a six ans. "Après cette période aux Pays-Bas, j'avais envie d'autre chose. Pas de Paris, qui m'a toujours paru un rien hostile, contrairement à Bruxelles, qui, pour moi, est comme un grand village où les frontières entre genres musicaux sont poreuses, moins "sclérosées" dans leur bulle qu'ailleurs. Les choses s'y font plus simplement, d'ailleurs je joue aussi avec des musiciens d'autres coins de Belgique, des Flamands. Comme Kobe Dupont, un super guitariste venant d'Anvers, qui chante la majorité des morceaux de Limite."
Jordi Cassagne, qui pratique à la fois la contrebasse et la basse électrique, vient de passer à côté du statut d'artiste et en ce mois de novembre 2020, (sur)vit sur ses compositions pour des documentaires. "Avec une toute petite aide de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Sinon, pour le futur, je vais devoir me trouver un travail alimentaire. C'est très compliqué." Il incarne la parfaite définition du musicien 2.1 sous virus: personne ne sait ce qu'il va advenir de ce métier dans les prochains mois, voire les prochaines années. A la longue, les live par Internet vont forcément finir par lasser.
Viole de gambe
Mountains Inside compte dix compositions rock frondeuses écrites en quasi- totalité et produites artistiquement par Jordi Cassagne. Un rien inclassable même si quelques parfums évoquent de toute évidence le patrimoine belge. Le titre d'ouverture - Simmering Water - aurait pu être amené par Sharko et puis d'autres moments, comme Relief Failure, pourraient être l'oeuvre de Lylac ou d'un dEUS des débuts. Sauf que le diplômé en jazz de La Haye reprend, à son arrivée, des cours au conservatoire bruxellois de contrebasse baroque, autre influence que l'on peut capter cà et là sur l'album. "Je me suis lancé dans le violone, une basse de la famille des violes de gambe, l'ancêtre de la contrebasse. Je ne me positionne pas comme un instrumentiste, mais plutôt comme quelqu'un qui veut partager la musique."
Le cheminement sonore de Jordi Cassagne passe par la découverte du film Limite, long métrage brésilien sorti en 1931. Une avant-garde filmique zarbi de deux heures, inspirée par le dadaïsme, qui utilise une bande son composée de pièces de musiques classiques. L'histoire de deux femmes et d'un homme en perdition sur un radeau, en dérive fluviale sans issue. A cet objectif contemplatif et expérimental, le musicien va initialement vouloir ajouter une bande son originale. Cette suite de chansons aimantées par ce vieux film allumé, avec deux représentations de ciné-concert, finit par contaminer Limite. D'abord via une version chambriste avec un basson, deux clarinettes, deux chanteurs, deux claviers, un contrebassiste. "C'était un projet très lourd à mener et puis, le rendu était sans doute dur à recevoir pour le public parce que c'est très long. Sur l'album, il ne reste que quelques traces des compositions créées pour cet événement, comme le titre Relief Failure."
Jordi Cassagne parle calmement de paysages sonores qui ne le sont pas forcément: à ses côtés, outre le guitariste-chanteur Kobe Dupont déjà cité, interviennent trois autres musiciens. Benjamin Sauzereau (guitares), Camille-Alban Spreng (claviers) et Théo Lanau (batterie). Soit un Suisse, trois Français et un Belge, tous basés à Bruxelles. Pour ce disque, Jordi Cassagne est surtout parti du texte pour écrire la musique, suivant la piste de ses influences initiales - Leonard Cohen ou Bob Dylan - y mixant des apports contemporains comme Sonic Youth. Mountains Inside est une espèce d'itinérance, de fuite en avant, même si en voyant le dessin de la pochette, cela a fait en moi écho de plusieurs sentiments. C'est-à-dire des paysages que j'ai vus physiquement, là où je suis en Crète et puis en Azerbaïdjan où je suis allé l'année dernière. Ce disque de Limite ne fait pas forcément écho à ma propre histoire, mais plutôt à des thématiques qui m'ont inspiré. Comme le cinéma de Béla Tarr, cette noirceur un peu brute qui parle des gens de tous les jours."
On espère découvrir la traduction scénique de tout cela au printemps prochain.
Philippe Cornet - Focus Vis - 26/11/2020
https://www.levif.be/.../mont.../article-normal-1361733.html
LIMITE, Mountains inside, premier album bouleversant - Litzic – 20/11/2020
Nous avons évoqué Limite dans une de nos récentes sélections, nous nous penchons aujourd’hui sur son premier album, Mountains inside. Celui-ci nous fait une forte impression, pop, rock. Si nous ne pouvons passer outre une certaine influence de Radiohead, nous sommes, avec Limite, dans un univers où l’expérimentation n’est jamais très très loin.
Ces expérimentations prennent principalement corps dans les tessitures sonores et dans les structures en château de cartes qui habitent cet opus surprenant à plus d’un titre. Nous reviendrons sur ce deuxième point très rapidement. Mais pour l’heure, revenons à ces sonorités particulières. Elles concernent principalement les claviers, possédant un aspect parfois granuleux, étrangement étouffés, comme c’est le cas sur Relief Failure par exemple. Ils permettent d’esquisser une atmosphère très particulière, comme «ancienne», digne d’un film d’angoisse. Pour faire une comparaison plus que hasardeuse, nous dirions que ce disque est de l’ordre du noir et blanc en cinéma. L’ambiance dégagée est dès lors une sorte de bulle hors du temps, reposant paradoxalement sur une production très actuelle.
De la douceur.
Un sentiment très doux s’échappe de Mountains inside. Il transpire par une voix au chant romantique, habité par une âme qui nous guide avec une certaine « bienveillance » dans des titres « titubants ». C’est un peu, quand on entend l’album, comme si nous voyions un mec bourré devant nous. Son pas erratique, chaloupé, compensant la chute par des rattrapages in extremis d’un moulinet de bras correspond assez bien à ces mesures chancelantes, ne reposant pas sur le traditionnel 4 temps du rock. Forcément, on adhère à deux mille pour cents même si la première écoute, forcément, ne délivre pas tous ses secrets (et déroute quelque peu).
En effet, il faut dompter l’animal, ces brusques changements d’ambiance, de rythme, passant par des aspects bruitistes après un passage pop limpide.
En résulte un sentiment d’être sans cesse pris à contre-pied. Nous ne savons où nous raccrocher, à quel saint se vouer, alors nous n’avons d’autre choix que de faire confiance d’une part à Limite, qui déroule son univers avec brio (et une technique incroyable), d’autre part à nous-même et à nos ressentis premiers.
Ce disque pourrait créer le malaise, mais il n’en est rien. En effet, il déclenche plutôt un sentiment magique, celui d’être stimulant de bout en bout.
Rock ou pop ?
Il nous est très difficile de qualifier le disque de pop ou de rock. Nous le rattachons à ces deux dénominations car il est fait avec des instruments inhérents à ces genres. Mais c’est un tel omni (objet musical non identifié) que nous le considérons comme étant totalement à part. Il nous ferait penser, dans l’esprit, à ce genre de déflagrations que furent, par exemple, The velvet underground & Nico ou le Kid A de Radiohead, c’est-à-dire des disques révolutionnant, avec un certain génie, un genre.
Ici, Limite le fait avec une grâce de funambule dont on frémit de voir le corps basculer dans le vide. Les arrangements sont osés, les rythmiques en chewing-gum, le propos pas forcément compréhensible d’emblée. Pourtant, il règne toujours, même s’il nous est invisible à première écoute, un fil que Limite ne cesse de dénouer. Pourtant, le côté parfois abrasif du groupe nous fait tout de même pencher du côté du rock, tendance progressive, mais toujours avec cette folie qui l’en démarque.
Sans balises.
Rien n’est balisé. Une entame de morceau, chaude, rassurante, peut vite laisser place à un bourbier presque glacial dont il nous est impossible de nous extirper. En avons-nous de toute façon réellement envie ? Non, absolument pas. Ces surprises à répétition dégagent une forte cohésion, une identité qui l’est toute autant. Inutile de dire qu’elle force le respect. Car si un tel album se mérite (nous vous en conjurons, ne vous arrêtez pas à la première écoute, ni au premier morceau),
il nous rend notre patience, notre attention, notre concentration au centuple. Il est en ce sens à contre-courant de l’idée que la musique est un bien de consommation.
Cet album est, pour nous, simplement magique, complètement à la marge de ce qui se fait, brillamment produit, superbement arrangé, il est exaltant de bout en bout. Chaque écoute renforce notre idée selon laquelle nous sommes en présence d’un disque qui, dans 20 ans, pourraient avoir fait pas mal d’émules (comme le Velvet… et Radiohead on y revient). Enfin si les gens se donnent encore un peu de mal pour découvrir un album dans son intégralité, et de s’y arrêter vraiment plus de 5 minutes. Mountains inside est un gros coup de coeur révélant les monts intérieurs, intime, d’un groupe à l’inventivité débordante.
À suivre de très près, c’est un futur grand nom,nous en sommes convaincus.
Le titre de Mountains inside.
Nous aimons beaucoup Skeleton Sky qui nous fait penser, dans un premier temps, à un groupe comme Sonic youth avant de dériver lentement dans un monde fantastique, à mi-chemin du trip sous acide et de la fête foraine (oui, l’écart est grand. Quoi que…). Ce titre, hyper déstabilisant, navigue sur une ligne de champ plutôt limpide, loin du fracas de guitares, de claviers aux notes qui s’entrechoquent, se télescopent, pour nous placer face à ce que nous pourrions nommer un bad trip, de façon plus efficace qu’un millier de mots. Bref, on aime beaucoup beaucoup !
Patrick Beguinel – Litzic – 20/11/2020
https://litzic.fr/chronique-musique/limite-mountains-inside/
Ces expérimentations prennent principalement corps dans les tessitures sonores et dans les structures en château de cartes qui habitent cet opus surprenant à plus d’un titre. Nous reviendrons sur ce deuxième point très rapidement. Mais pour l’heure, revenons à ces sonorités particulières. Elles concernent principalement les claviers, possédant un aspect parfois granuleux, étrangement étouffés, comme c’est le cas sur Relief Failure par exemple. Ils permettent d’esquisser une atmosphère très particulière, comme «ancienne», digne d’un film d’angoisse. Pour faire une comparaison plus que hasardeuse, nous dirions que ce disque est de l’ordre du noir et blanc en cinéma. L’ambiance dégagée est dès lors une sorte de bulle hors du temps, reposant paradoxalement sur une production très actuelle.
De la douceur.
Un sentiment très doux s’échappe de Mountains inside. Il transpire par une voix au chant romantique, habité par une âme qui nous guide avec une certaine « bienveillance » dans des titres « titubants ». C’est un peu, quand on entend l’album, comme si nous voyions un mec bourré devant nous. Son pas erratique, chaloupé, compensant la chute par des rattrapages in extremis d’un moulinet de bras correspond assez bien à ces mesures chancelantes, ne reposant pas sur le traditionnel 4 temps du rock. Forcément, on adhère à deux mille pour cents même si la première écoute, forcément, ne délivre pas tous ses secrets (et déroute quelque peu).
En effet, il faut dompter l’animal, ces brusques changements d’ambiance, de rythme, passant par des aspects bruitistes après un passage pop limpide.
En résulte un sentiment d’être sans cesse pris à contre-pied. Nous ne savons où nous raccrocher, à quel saint se vouer, alors nous n’avons d’autre choix que de faire confiance d’une part à Limite, qui déroule son univers avec brio (et une technique incroyable), d’autre part à nous-même et à nos ressentis premiers.
Ce disque pourrait créer le malaise, mais il n’en est rien. En effet, il déclenche plutôt un sentiment magique, celui d’être stimulant de bout en bout.
Rock ou pop ?
Il nous est très difficile de qualifier le disque de pop ou de rock. Nous le rattachons à ces deux dénominations car il est fait avec des instruments inhérents à ces genres. Mais c’est un tel omni (objet musical non identifié) que nous le considérons comme étant totalement à part. Il nous ferait penser, dans l’esprit, à ce genre de déflagrations que furent, par exemple, The velvet underground & Nico ou le Kid A de Radiohead, c’est-à-dire des disques révolutionnant, avec un certain génie, un genre.
Ici, Limite le fait avec une grâce de funambule dont on frémit de voir le corps basculer dans le vide. Les arrangements sont osés, les rythmiques en chewing-gum, le propos pas forcément compréhensible d’emblée. Pourtant, il règne toujours, même s’il nous est invisible à première écoute, un fil que Limite ne cesse de dénouer. Pourtant, le côté parfois abrasif du groupe nous fait tout de même pencher du côté du rock, tendance progressive, mais toujours avec cette folie qui l’en démarque.
Sans balises.
Rien n’est balisé. Une entame de morceau, chaude, rassurante, peut vite laisser place à un bourbier presque glacial dont il nous est impossible de nous extirper. En avons-nous de toute façon réellement envie ? Non, absolument pas. Ces surprises à répétition dégagent une forte cohésion, une identité qui l’est toute autant. Inutile de dire qu’elle force le respect. Car si un tel album se mérite (nous vous en conjurons, ne vous arrêtez pas à la première écoute, ni au premier morceau),
il nous rend notre patience, notre attention, notre concentration au centuple. Il est en ce sens à contre-courant de l’idée que la musique est un bien de consommation.
Cet album est, pour nous, simplement magique, complètement à la marge de ce qui se fait, brillamment produit, superbement arrangé, il est exaltant de bout en bout. Chaque écoute renforce notre idée selon laquelle nous sommes en présence d’un disque qui, dans 20 ans, pourraient avoir fait pas mal d’émules (comme le Velvet… et Radiohead on y revient). Enfin si les gens se donnent encore un peu de mal pour découvrir un album dans son intégralité, et de s’y arrêter vraiment plus de 5 minutes. Mountains inside est un gros coup de coeur révélant les monts intérieurs, intime, d’un groupe à l’inventivité débordante.
À suivre de très près, c’est un futur grand nom,nous en sommes convaincus.
Le titre de Mountains inside.
Nous aimons beaucoup Skeleton Sky qui nous fait penser, dans un premier temps, à un groupe comme Sonic youth avant de dériver lentement dans un monde fantastique, à mi-chemin du trip sous acide et de la fête foraine (oui, l’écart est grand. Quoi que…). Ce titre, hyper déstabilisant, navigue sur une ligne de champ plutôt limpide, loin du fracas de guitares, de claviers aux notes qui s’entrechoquent, se télescopent, pour nous placer face à ce que nous pourrions nommer un bad trip, de façon plus efficace qu’un millier de mots. Bref, on aime beaucoup beaucoup !
Patrick Beguinel – Litzic – 20/11/2020
https://litzic.fr/chronique-musique/limite-mountains-inside/
Retour sur le festival d'Itxassou (Haratago) - Jean François Mondot - Jazz Magazine (31 Juillet 2017)
(...) " Et l’on arrive à ce qui restera pour moi le grand moment de ce festival, le projet Haratago autour des chants de bergers basques de la Soule, les basa ahaide (les chants sauvages). Ce projet est mené par Julen Achiary (voix), Nicolas Nageotte (clarinette), Bastien Fontanille (vielle à roue), Jordi Cassagne (violone).
Ces chants sans paroles, dédiés à l’aigle, au choucard, ou au gypaète, sont empreints de noblesse et de ferveur. Ils disent beaucoup sur le rapport à la nature de ces bergers, sur leur capacité d’émerveillement, sur leur sensibilité à la grandeur. Ils n’étaient donc pas seuls dans les estives, ces bergers d’autrefois, puisqu’ils avaient tant de beauté dans leur regard. Traditionnellement, ces chants sont exécutés a capella. Mais Julen Achiary et ses copains ont orchestré ces chants à leur façon en regardant vers l’orient et les Balkans.
La voix de Julen Achiary arrive magnifiquement à transmettre cette grandeur. Elle est souple, puissante, mais ne passe jamais en force. Elle a parfois des inflexions de muezzin. Elle semble prendre exemple sur les oiseaux majestueux qu’elle évoque, car elle s’élève par paliers, s’appuyant à la vielle à roue ou à la clarinette comme les aigles s’adossent aux courants d’air ascendants. La relation musicale entre le clarinettiste Nicolas Nageotte et Julen Achiary est magnifique:Tous deux se font la courte échelle pour aller au plus haut des nuées, tous deux déploient leurs ailes.
Après cela, difficile de redescendre sur terre. " (...)
Jean François Mondot - Jazz Magazine - 31 Juillet 2017
Ces chants sans paroles, dédiés à l’aigle, au choucard, ou au gypaète, sont empreints de noblesse et de ferveur. Ils disent beaucoup sur le rapport à la nature de ces bergers, sur leur capacité d’émerveillement, sur leur sensibilité à la grandeur. Ils n’étaient donc pas seuls dans les estives, ces bergers d’autrefois, puisqu’ils avaient tant de beauté dans leur regard. Traditionnellement, ces chants sont exécutés a capella. Mais Julen Achiary et ses copains ont orchestré ces chants à leur façon en regardant vers l’orient et les Balkans.
La voix de Julen Achiary arrive magnifiquement à transmettre cette grandeur. Elle est souple, puissante, mais ne passe jamais en force. Elle a parfois des inflexions de muezzin. Elle semble prendre exemple sur les oiseaux majestueux qu’elle évoque, car elle s’élève par paliers, s’appuyant à la vielle à roue ou à la clarinette comme les aigles s’adossent aux courants d’air ascendants. La relation musicale entre le clarinettiste Nicolas Nageotte et Julen Achiary est magnifique:Tous deux se font la courte échelle pour aller au plus haut des nuées, tous deux déploient leurs ailes.
Après cela, difficile de redescendre sur terre. " (...)
Jean François Mondot - Jazz Magazine - 31 Juillet 2017
Julien Marga : Retour au Sunset par Jean Francois Mondot - JAZZ MAG (27 Janvier 2017)
Il y a quelques mois, Julien Marga, jeune guitariste bruxellois, remportait les trophées du Sunside 2016.
Depuis le groupe a tourné, vécu, appris. Sa musique a déployé toutes ses virtualités.
Julien marga (guitare), Geoffrey Fiorèse (piano), Lucas Vanderputten (batterie), Jordi cassagne (basse), le Sunset, 18 janvier 2017
Je faisais partie du jury qui avait distingué la formation de Julien Marga en septembre. Il me semble que son groupe (qui n’avait alors en tout et pour tout que cinq concerts dans les jambes) s’est depuis remarquablement bonifié. L’un de ses points forts reste l’entente télépathique entre le guitariste et son pianiste Geoffrey Fiorèse. Ce dernier accompagne moins Julien Marga qu’il ne prolonge ses phrases, les répète, les explore, les détourne. Cela donne de l’épaisseur au son du groupe. La musique enfle comme une houle. l’un des morceaux fétiches du groupe, Layers, semble décrire l’élaboration de la pâte sonore, façonnée à plusieurs pour lui donner plus de textures, de parfums, d’échos. Quant au guitariste, lui aussi sait enrichir les chorus du pianiste, souvent avec une pédale d’effets qui lui permet, en gommant les attaques, de faire des nappes délicates à l’arrière-plan. Le guitariste et le pianiste sont, chacun à leur manière, des mélodistes. Ils sont bousculés par une section rythmique qui ne les lâche pas une seconde, avec notamment le batteur Lucas Vanderputten, mordant à souhait. Cette dualité entre mélodistes et puncheurs (encore que Jordi Cassagne, le contrebassiste sache se montrer fin mélodiste lui-aussi) contribue à l’équilibre du groupe.
(...)
Au début du deuxième set, le quartet de Julien Marga joue quelques standards réarrangés avec soin et avec goût. Cela commence par Maiden Voyage d’Herbie Hancock, dont Marga a gardé la ligne mélodique mais changé la ligne de basse (passée en 5/4) en la truffant d’accords supplémentaires en place des accords sus 4 mis en place par Herbie Hancock dans la version originale. Du coup cette ligne de basse plus nerveuse change la physionomie du morceau. Cela crée un effet de familiarité dépaysante très réussi. Le groupe joue ensuite une sublime composition de Carla Bley, Lawns, simple et chantante, presque enfantine, qui convient idéalement au lyrisme de Marga et sur lequel le bassiste et le batteur font merveille, souples et implacables à la fois.
C’est alors que survient, selon moi, le meilleur moment du concert avec la reprise d’un morceau traditionnel africain, Koth Biro, du chanteur kenyan Ayub Ogada, qui évoque l’arrivée de la pluie. Le piano de Geoffrey Fiorèse devient liquide. On a l’impression que le pianiste évoque la pluie, et le guitariste le sentiment de la pluie. Le batteur, aux mailloches, trouve une pulsation miraculeuse de légèreté. Il invente une pluie aussi légère qu’une bruine. heureux et hydraté, je quitte le Sunset…
Jean François Mondot - Jazz Magazine - janvier 2017
Article complet --> http://www.jazzmagazine.com/julien-marga-retour-sunside/
Bengalif'ère : Franpi Barriaux- Sun Ship (Décembre 2014)
“Nul ne sait vraiment ce qu'est le bengalifère.
Animal mythique ou disparu, simple invention poétique d'un jeune trio né dans les contrées du Sud-Ouest entre le Pays Basque et Uzeste, on ne sait trop trancher. La seule chose que l'on sait, ce dont l'on se persuade en tout cas à l'écoute de "Petit Bengal deviendra grand" en tout début d'album, c'est que la bête est d'une souplesse peu commune ; la pochette laisse apparaître en ombre chinoise un chat bondissant avec des ailes...
La liberté et la souplesse ? elle est dans l'échange entre le contrebassiste Jordi Cassagne, dont le jeu extrêmement agile et pénétrant fait songer à Maxime Delporte, de Stabat Akish, et le percussionniste Julen Achiary qui -bon sang ne saurait mentir- est également chanteur, un chant profond qui vient densifier un propos bondissant.
A ce titre, "Red Cloud" est un morceau d'une grande force. Achiary est chanteur comme son Beñat de père, c'est un fait, mais son approche du rythme le différencie pleinement. Il a travaillé avec des percussionniste africains et sait infléchir en quelques frottements et quelques frappes la couleur du trio. La voix se pelotonne dans le son caressant du saxophone pendant que la contrebasse égraine une mélodie dont la simplicité transperce. La légèreté du propos pourrait être évanescente, elle est au contraire terrestre et bien campé sur ses appuis, ceux d'une rythmique impeccable.
Il y a dans les influences de Bengalifère le Free, héritage revendiquée et quelque part revendiqué par la parution de cet album chez Marge, mais l'on perçoit, dans un morceau comme "Bengalifère" une approche lumineuse dont la puissance fait songer à ces musiques anciennes que Cassagne a visité dans sa pratique du violone.
Ainsi, le bengalifère serait un chat ailé. Un de ces chats de gouttière indomptable et libertaire qui se serait fait greffer des ailes pour acquérir un peu plus de liberté. Grâce au saxophoniste Matthieu Lebrun, qui vient fermer la pointe du triangle, le félin volant sait prendre les courants porteurs. "Eurythmie" est en effet un morceau parfaitement proportionné pour un propos collectif où la polyrythmie du dialogue entre contrebasse et batterie danse avec le jeu pugnace de Lebrun.
Bengalifère est colemanien, c'est une chose entendue. Tendance Ornette ou d'obédience Steve ?
La question reste à trancher et passe de l'un à l'autre dans une volonté de synthèse très intéressante et extrêmement solide. Peut être est-ce à cela que lui serve ses ailes ; à faire des saut de puce et des rases-motte entre les étiquettes tout en gardant la même trajectoire, celle d'une musique volontaire et farouche, qui ne s'empêche pas d'user d'humour.
C'est patent sur l'explicite "Pique-Nique à Conqueyrac sur une voie de chemin de fer inondée un certain 12 août 2003", lorsque à l'improvisation à trois s'ajoute un babil étouffé d'où entre deux sifflets s'échappe les parole d'une chanson d'Yves Montand. C'est également le cas des rodomontades farouches de Lebrun sur le non moins étonnant " Attaque sauvage d'un troupeau d'ornithorynques un soir de pleine-lune".
Une séduisante découverte de trois jeunes musiciens remarquables.”
Franpi Barriaux, www.franpisunship.com
Bengalifère : Stéphane Ollivier -RÉVÉLATION JAZZMAN/MAG (Décembre 2014)
"C'est une musique à la fois très ancrée et très libre que révèle ce premier disque réjouissant. Très ancrée dans une tradition d'abord, celle qui trouve sa source dans le geste libéré d'Ornette Coleman, se poursuit dans le post-free multiculturel de Don Cherry pour se métamorphoser in fine dans ce que la musique improvisée européenne nous a proposé depuis trente ans de plus lyrique et hanté (de Michel Doneda à Daunik Lazro). Très ancrée aussi dans un "territoire" (autant réel qu'imaginaire) qui d'Uzeste au Pays Basque recouvre incontestablement un espace où l'improvisation s'appréhende autrement. Mais totalement libre également dans la matière très singulière dont le trio s'empare de cette histoire pour la faire sienne et s'affranchir. On est en effet constamment surpris et séduit par la maturité du discours collectif produit par le trio, notamment par cette façon de tout s'autoriser (formes, rythmes, mélodies) afin de faire vivre une musique subtile, inspirée, très maîtrisée dans ses développements et variations. Avec un constant souci de cohérence, les climats intimistes (notamment sur d'envoûtants entremêlements sonores entre les timbres moirés du saxophone et la voix sensuelle de Julen Achiary qui revisite à la suite de son père la poétique des chants basques) s'enchaînent à d'intenses séquences improvisées où propulsé par une rythmique souple et féline, Matthieu Lebrun, tour à tour lyrique, tendre, fougueux, démontre un sens de la précision dans le trait vraiment impressionnant. Bengalifère réussit une entrée fracassante sur la scène européenne des musiques improvisés".
Stéphane Ollivier, Jazz Magazine n°668
Bengalifère : Luc Bouquet - IMPRO JAZZ (Juin 2015)
" Un jeune trio et beaucoup de vertus. De la précision et du détail.
Un alto qui stevecolemanise juste ce qu'il faut. Un joli grain d'alto quand la ballade le demande.
Des flèches bien aiguisées et des routes en lacés-enlacées-entrelacées. Des hymnes retors.
Le souvenir de Rashaan. Une voix nous rappelant le bienveillant paternel.
Quelques grandes cavalcades. Un souffle fendant l'air.
Des contrées caillouteuses et moyenâgeuses.
Un zeste d'humour, un zeste de localisme.
Un archet bien trempé. Des tambours bien saillants,
Et surtout trois musiciens (Matthieu Lebrun, Jordi Cassagne et Julen Achiary) soudés, solidaires.
Donc amis. Si les grand carnivores du jazzbisnessne les dévorent pas... "
Luc Bouquet , Impro Jazz - juin 2015
Bengalifère : François Couture - MONSIEUR DÉLIRE (Novembre 2014)
"Très beau disque de jazz actuel par un trio composé d’un saxophoniste (Lebrun), d’un contrebassiste (Cassagne) et du batteur-chanteur Julen Achiary, le fils du grand Beñat Achiary. Et la pomme est tombée très près de l’arbre, puisqu’on reconnaît dans ses vocalises les enseignements de père. Bengalifère propose des composées des trois membres du groupe, et on constate rapidement qu’on est dans un jazz actuel ludique et profond. On s’amuse, on ressent, on se laisse surprendre par la suavité des thèmes, une éclosion rythmique ici, une mélodie poignante là. C’est du très beau travail: soigné, créatif, personnel. Je souhaite longue vie à ce trio."
François Couture - Monsieur Délire - 20/11/2014
François Couture - Monsieur Délire - 20/11/2014
Julien Marga Quartet remporte le 16e trophée du Sunside par Jean Francois Mondot
"Depuis 16 ans, le Sunside récompense de jeunes groupes de jazz en devenir. Mercredi dernier, c’est le groupe du guitariste Julien Marga qui a rallié tous les suffrages. Julien Marga (g), Geoffrey Fiorèse (p), Jordi Cassagne (b), Lucas Vanderputten (dm)
Ce qui a distingué le groupe de Julien Marga des autres groupes en lice pour le trophée du Sunside, c’est le parti pris mélodique des compositions (serendipity, folk song) et des improvisations, un sens de la respiration et de l’espace qu’il est rare de trouver à un âge où l’on accumule plus que l’on ne décante. On sent aussi l’influence ECM dans plusieurs compositions du groupe. Comme guitariste, Julien Marga est le genre de musicien à qui toute notion d’esbrouffe est étrangère. Il a su nouer une complicité originale avec son pianiste. Il est rare de voir ces deux instruments réputés antagonistes dans un tel rapport de complicité. Jamais ils ne se marchent sur les pieds, contribuant à forger un son de groupe finalement assez original."
Jean François Mondot - JazzMan/Mag - septembre 2016